Comment faire aimer une œuvre classique ?

Cinq semaines en ballon de Jules Verne, tu parles d'une tuile. Il faut que mon fils le lise en entier parce qu'il a fait un voyage à Nantes pour voir "Les machines de l'île" (Dis Alvy, je rêve où tu es en train de râler ?) Je ne râle pas, je m'exprime, la p'tite voix. À la rigueur, je peste face au devoir de lecture demandé à Manannan. (Je ne vois pas pourquoi, il aime lire, cela ne doit pas être difficile pour lui !) Sauf que même si c'est la version allégée qu'on lui a donnée à lire, Mana déteste cette histoire.

(Eh bien la solution est toute trouvée. Lis-lui le livre !) Non ! (comment ça non ?) Non parce que moi aussi je n'aime pas cette histoire. Elle m'a toujours ennuyée. Et puis, j'aimerais que l'on m'explique pourquoi on fait lire ce livre alors que "20 000 lieues sous les mers" aurait été plus raccord par rapport à la sortie. Je ne pige pas. (Sans doute, mais il va devoir le lire si c'est pour un devoir) Mouai, en fin d'année en plus... ridicule. J'espère qu'il ne perdra pas son goût pour la lecture. Il ne parvient pas à retenir l'histoire tant il s'en désintéresse.

(Mais toi-même tu as lu un livre compliqué lorsque tu avais huit ans, les Misérables, non ?) Oui, seulement j’ai grandi à Montfermeil et crois-moi, Victor Hugo était très présent dans notre petite ville. J'avais appris à l'école un poème du grand homme. Il m'avait marquée et j'avais ressenti une étrange émotion. (Quelle émotion ? Quel poème ?) La curiosité. Je voulais en savoir plus sur l'homme qui avait écrit "Jeanne était au pain sec". (Cela semble triste ton truc ?) Non, pas vraiment. C'est puissant et tendre, cela parle de l'enfance, mais pas que de cela. On devrait, je crois, faire découvrir les classiques par petite touche aux enfants. (Par la curiosité ?) Oui, les enfants bien souvent ont soif d'apprendre, ils sont curieux par nature. Nous avons juste oublié qu'ils ne sont pas des mini-adultes. On oublie souvent que toutes les oeuvres classiques ne furent pas écrites pour les enfants. (Oh, tu n'as pas tort !) Bon, il faut se remettre au travail et trouver un moyen de faire lire ce Jules Verne à Mana. (Bon courage !!)

Ah ah ah ! très drôle la p'tite voix. Allez à bientôt les p'tits lus !

 

JEANNE ÉTAIT AU PAIN SEC (tiré du recueil L'Art d'être grand père)

Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société
S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce:
--Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce;
Je ne me ferai plus griffer par le minet.
Mais on s'est recrié:--Cette enfant vous connaît;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement possible. A chaque instant
L'ordre est troublé par vous; le pouvoir se détend;
Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.
Vous démolissez tout.--Et j'ai baissé la tête,
Et j'ai dit:--Je n'ai rien à répondre à cela,
J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là
Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu'on me mette au pain sec.--Vous le méritez, certe,
On vous y mettra.--Jeanne alors, dans son coin noir,
M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l'autorité des douces créatures:
--Eh bien' moi, je t'irai porter des confitures.

Victor Hugo